Texte de Christiane Laforge

lu à la présentation de Lyne L’Italien

au gala de l’Ordre du Bleuet le 2 juin 2018


Après cinq années de cours, Lyne L’Italien doit accrocher ses chaussons de ballerine. Elle a 9 ans. Certains rêves sont des privilèges.


Adolescente, elle jongle avec les chiffres et s’inscrit au Collège de Jonquière en informatique. Elle fréquente des gens de théâtre et subit l’influence de Dominique Lévesque, professeur de français et initiateur d’une ligue d’improvisation. Elle succombe au pouvoir des mots et s’enflamme sur scène au point de faire un certificat en théâtre. Elle se voit comédienne et se dirige vers l’École Nationale de théâtre et l’Université du Québec à Montréal. Un accident de la route tue ses projets.


Un temps d’arrêt s’impose. Lyne retrouve les chiffres et opte pour des études en administration. Un destin malicieux s’amuserait-il d’elle? Tout ce parcours atypique la conduit finalement au cœur de sa passion. Elle devient gestionnaire du Théâtre La Rubrique et lui insuffle de grandes ambitions.


Lyne L’Italien est un personnage incontournable dans le milieu culturel du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Elle est l’eau vive prenant source à plusieurs rivières. C’est dans ses gènes. Son père Bérard L’Italien, électricien frigoriste, vient de Rivière-à-Martre en Gaspésie. Sa mère Irène Cody, enseignante, est originaire de Rivière-au-Tonnerre. Parlant d’elle, sa fille écrit : « Elle était enseignante dans les villages de la Côte-Nord, un genre d’Émilie Bordeleau qui se promenait en snow de village en village. »


C’est par sa grand-mère maternelle que Lyne découvre le chant et le théâtre.


Rien de banal dans l’existence de Madame L’Italien. La ville minière de sa naissance, Gagnonville, a été fermée en 1985, puis rasée et enfouie. Née le 9 juillet 1961, elle n’assistera pas à ce deuil. Elle vit son enfance à Montréal-Nord et à Longueuil, le temps de l’école primaire, son adolescence à Sept-Îles pour le secondaire et ses 18 ans à Jonquière.


« Saguenay a été ma terre d’accueil. Je suis arrivée ici pour mes études, en 1979, et j’y suis restée. J’y ai trouvé l’amour, l’amitié et ma passion pour le théâtre. La nature y est impressionnante, mais, contrairement à la Côte-Nord, nous ne sommes pas trop loin des grands centres. J’ai rencontré ici des gens accueillants, sincères et empreints de passion. »


Sa fille, Anne-Morice L’Italien-Bérubé, fille du cinéaste Claude Bérubé, « la prunelle de [ses] yeux » confie-t-elle, est née au Saguenay et l’accompagne dans ses fonctions à la Rubrique depuis ses 13 ans.


Dès son arrivée à Jonquière, Lyne crée des liens avec les membres de la ligue d’improvisation de Dominique Lévesque : Dany Turcotte, Marie-Lise Pilote, Pierre-Michel Tremblay, Bernard Vandal. Évoquant cette heureuse période, elle raconte : « C’est à cette époque que j’ai connu Paule Therrien et Alain Lavallée avec qui nous avons monté la pièce Ça-dit-qu’essa-à-dire de Jacqueline Barrette. Nous avons joué dans plusieurs endroits à Saguenay et nous avons eu un bel accueil de la part du public. Nous avions décidé d’apporter le théâtre hors des lieux conventionnels. Nous avons joué au Café Campus, au Bar le Potin, mais aussi à l’auditorium Dufour et à la salle François-Brassard. Cette pièce m’a même permis de revoir mon village natal puisque nous avons été invités à y jouer par Hélène Boivin et Nancy Ross qui s’occupaient alors des services des loisirs de Gagnonville. J’ai eu la piqûre à ce moment. »


Mais, une fois de plus, la fatalité l’empêche de prendre cette voie. Elle doit choisir : jouer sur scène ou mettre ses compétences en administration au service du développement de ce théâtre qu’elle aime tant. Sa formation en gestion et comptabilité lui ouvre, d’une certaine façon mais en coulisses, les portes de la scène. Dès lors, elle choisit de se battre pour que jamais, dans sa région d’adoption, les rideaux ne tombent sur le silence.


Recrutée par La Rubrique, elle doit pallier le manque criant de fonds pour se doter de revenus décents. Elle multiplie les engagements, toujours au service des artistes. De son bureau, situé à l’étage du Café-Théâtre le Côté-Cour, elle prend en mains la gestion d’organismes culturels (La Rubrique, Les productions Claude Bérubé, Les productions de la Chasse-Galerie, le Café-Théâtre Le Côté-Cour, Vidéo Femmes) ainsi que les dossiers fiscaux d’artistes pigistes. Avec audace, elle entre dans le labyrinthe de la vie culturelle en région, dans le dédale économique des artistes pigistes, dans la précarité des organismes dont elle devient une ardente défenderesse.


On la retrouve au sein du Consortium de promotion des arts et de la culture, à la Table du Conseil québécois du théâtre, à l’Association des compagnies de théâtre, à la présidence du Conseil régional de la culture. Elle s’investit, avec sa force persuasive, dans le comité de relance du Festival international des arts de la marionnette, déterminée à sauvegarder ici cet événement majeur. Hors des grands centres, elle veut un salut pour les arts. Cette battante ou, pour mieux dire, cette combattante, lutte pour améliorer les conditions de vie des professionnels de la scène et des travailleurs culturels. Elle est en première ligne pour dénoncer la défection et l’incompréhension des gouvernements à l’égard des arts, lesquels jugent l’admissibilité aux subventions selon les retombées économiques plutôt qu’en fonction de la créativité et de l’enrichissement du patrimoine.

À la fermeture de La Chasse Galerie survenue en 2007, elle publie une lettre dont le contenu demeure très actuel : « Le développement de toute forme d'art, surtout dans une région, est un processus long et difficile. Ce sont des institutions qui se bâtissent lentement et avec acharnement et qui, souvent, demeurent incomprises quant à la portée de leur mission. […] Dans une région, une maison comme la Chasse-Galerie, c'est une école, c'est un tremplin vers une carrière pour ceux qui, passionnés, veulent goûter ce métier. »

Nommée directrice générale du Théâtre La Rubrique en 2007 où elle travaille depuis les années 80, cette compagnie demeure son œuvre maîtresse. Un travail d’équipe pour produire des œuvres québécoises, créer les pièces de jeunes auteurs et des textes inédits de professionnels, rejoindre les publics de tous âges, offrir des ateliers, diffuser des productions majeures. Lyne L’Italien fait plus encore. Cet art qu’elle aime tant est mis au service des causes qu’elle défend. Théâtre d’intervention mettant en scène l’équité salariale, le harcèlement sexuel, les préjugés, la violence, le racisme, sous forme de théâtre invisible, présenté dans différents lieux publics que sont les bars, les centres commerciaux, les gares, voire même les ascenseurs. Avec Lucien Frenette, dans les années 1980, elle met sur pied un mouvement pour la paix inspiré du Livre de la Paix de Bernard Benson.


La Rubrique célèbrera bientôt ses 40 ans. Son développement et ses succès ont été tissés par un travail acharné et une détermination jamais démentie. Dans les coulisses de son histoire, combien d’heures de travail et de dévouement loin des feux de la rampe et pourtant essentielles à sa survie? Lyne L’Italien est une voix des plus importantes de notre théâtre, celle qui revendique pour nos artistes, pour notre public, le droit d’exister. Ainsi qu’elle l’affirme au journal Le Quotidien, à titre de membre du Conseil québécois du théâtre, « On est vite oubliées, nous les régions. C'est pas Montréal ou Québec qui vont crier pour nous. Il faut dire aux grandes villes que nous sommes là et que nous existons aussi. » Oui, nous sommes là, notre théâtre existe, grâce au feu ardent qui anime des personnes comme Lyne L’Italien.



Lyne L’Italien


Comédienne, directrice générale du théâtre La Rubrique,

pour son dévouement exceptionnel au maintien du théâtre en région



fut reçue Membre de l’Ordre du Bleuet


samedi 25 août 2018

Lyne L'Italien sur vidéo au Gala 2018 de l'Ordre du Bleuet



Quelques minutes 

pour découvrir une personne d'exception


LYNE L'ITALIEN









Membre de l'Ordre du Bleuet
le 2 juin 2018
Lyne L'Italien, a reçu son certificat d'honneur des mains de
Régis Guérin, trésorier
 de La Société de l'Ordre du Bleuet.

Texte : Christiane Laforge
Lecteur : Patrice Leblanc
Technicien du son : Gilles Chamberland
Metteur en lecture : Daniel Jean
Montage du diaporama : Ariel Laforge

Avec la collaboration de  Radio-Canada pour l'enregistrement de la narration. 

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POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET

L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.